J’étais assis devant elle. J’avais du mal à la voir, la buée commençait à sérieusement s’accumuler sur mon scaphandre. Je ne voyais presque plus rien, et j’arrivais à court d’oxygène. J’allais devoir rentrer à la station. En me relevant je lançais un dernier regard à la petite pousse que je laissais derrière, « j’espère vraiment qu’elle va survivre » pensais-je. Mes pas étaient lourds, ils s’enfonçaient dans le sable. Cette année, on était en 4112. Cela faisait déjà plus de 300 ans que le pourcentage d’oxygène dans l’atmosphère ne suffisait plus pour nous, humains. La forêt amazonienne avait fini par disparaître, comme toutes les autres forêts avant elle. La terre s’était asséchée, nous n’étions entourés que par des déserts. Résultat, si nous souhaitions sortir à l'extérieur, ce qui n’est possible que pour nous, scientifiques, nous devons porter un scaphandre et une bouteille d’oxygène. L’air est si pollué que s’il entrait en contact avec notre peau même quelques secondes, il nous causerait des lésions irréversibles. En arrivant devant la porte en métal, je n’avais presque pas envie d’entrer, mais il fallait que j’y aille pour remplir la mission de notre laboratoire. En entrant dans le sas, j’ai commencé à retirer ma combinaison, j’avais l’impression d’être libéré d’un poids énorme. J'entendais mes collègues, murmurer : « Il n’y a plus rien à faire, on a tout tenté... ».
Je décidais de rester caché.
« - On a tenté de créer de l’eau, de l’oxygène, des plantes n’ayant pas besoin d’eau, et même des êtres humains, rien n’a marché… Cela fait plus d’un an, et on ne l'a même pas prévenu de ce qu’il s’est passé… Il a le droit de savoir, de toute façon, il n’y a plus d’espoir…
-De quoi parlez-vous ? Fis-je innocemment, en sortant de ma cachette.
-… Assis toi, tu auras besoin d’une chaise…
-Nous voulons t’informer de quelque chose.
-Il y a un an, le circuit d’électricité souterrain qui alimente le pays a explosé. Il n’y eut aucun survivant sauf nous, car nous avions un groupe électrique indépendant, mais à deux jours près, nous serions morts. Nous allions le changer, c’était le dernier de son acabit. Étant donné que les circuits circulent sous chaque maison et que personne ne peut sortir, il n'y eut aucun rescapé. En plus du manque d’oxygène et d’eau, l’humanité manquait d’énergie comme l’électricité, et ce jour-là, il y eut une surcharge, dit-il tout en accompagnant sa déclaration d’un rire tonitruant à l’accent désespéré. »
Mon cerveau avait arrêté de fonctionner, je ne comprenais pas. « aucun survivant »… Comment était-ce possible… Je sentis la colère m’envahir, comment avaient-ils osé ne rien me dire, pendant le temps où j’aurais dû pleurer les disparus, je m’échinais vainement à essayer de faire pousser une pauvre plante qui mourrait probablement dans quelques jours, car il n’y a pas une seule goutte d’eau dans nos sols. Je me levais violemment de ma chaise, je m’apprêtais à m’enfuir en claquant la porte, lorsqu'on me retint par le bras.
« -Attends, il y a aussi autre chose… Nous avons épuisé toute nos ressources. Les plantes ne poussent plus, nous n’avons plus rien à manger, et ceci, dit-il en pointant le verre sur la table, sont nos dernières gouttes d’eau… Je suis désolé, nous pensions pouvoir créer des ressources entre temps, nous pensions que sans la pollution que cré l’être humain, nous réussirions à relancer la flore, et que la faune suivrait… Mais il semblerait que nous sommes voués à l’extinction. »
Je ne répondis rien… Je les fixais, l’horreur emplissait mon regard, c’était la fin. Je pris le verre d’eau, et me dirigea vers le sas, ils ne firent rien pour me stopper. Pendant que je renfilais ma combinaison, tout ce que j’ai connu défilait dans mon crâne, j’avais l’impression de vivre dans un monde faux, artificiel, de devenir fou… Comment avait-on pu en arriver là ? En cherchant à atteindre une vitesse de communication plus grande ? Des nouveaux matériaux qui génèrent des désastres écologiques énormes mais brillent un peu plus que ceux qui étaient naturels ? De toute manière, réfléchir ne servait plus à rien, tout était finit… Du moins pour moi. Je pris le verre d’eau, et traversa le sas. Mes pas redevinrent lourds, mais pas uniquement à cause de la combinaison… La plante paraissait si lointaine, bien qu’elle ne soit qu’à quelques centaines de mètres. C’était la dernière pousse que l’on possédait, aucune autre n’avait survécu. En arrivant devant elle, je m’assis en tailleur, pris mon verre d’eau, et le versa à sa racine. Je savais pertinemment que c’était en vain. Nous avions passé les 5 dernières années à arroser les différentes plantes que l’on tentait de faire pousser, c’était notre mission, mais cela n’avait jamais fonctionné. Je restais cependant assis là, avec l’espoir d’enfant que celle-ci serait différente, après tout, peut-être que ces dernières gouttes d’eau étaient magiques, qu’elles changeraient tout. Je savais bien que c’était futile, mais je restais là. Je suis d’ailleurs resté là pendant plusieurs jours, à fixer avec espoirs ce que je savais être impossible. Je ne suis pas mort de déshydratation au départ, car je léchais la buée sur la vitre de mon scaphandre. Après tout, autant le dire, où est la honte ? C’est la fin du monde. Mais, au bout du cinquième jour, je commençais à me sentir faible, je tremblais, j’avais des vertiges. Le sixième jour, je ne parvenais pas à me lever, je restais simplement allongé, là, à côté de ma plante. Les autres n’étaient déjà plus, ils avaient cessé de me contacter avec le radio depuis deux jours, leur dernier message n’était composé que d’un râle de désespoir. Le septième jour, j’arrivais à peine à ouvrir mes yeux, ma plante n’était plus qu’une vision floue. Tout ce que je voulais, c’était pleurer à ce moment précis. C’est alors que mon souhait fut exaucé, alors que je sentais ma conscience s’échapper, une larme hydrata mes yeux secs, ce qui me permit de la voir pour la dernière fois, et ce qui venait de pousser sur l’une de ses ramifications, une magnifique fleur rouge sang.
Elle était d’une délicieuse couleur rouge et rose, qui me rappelait les pommes dans blanche-neige, un vieux conte, et les dessins de viande dans de vieux livres. Elle était si belle. Elle me donnait cet espoir tant attendu que mes entrailles en grondaient de soulagement. J’eus alors cette envie dévorante de sentir son parfum qui semblait si alléchant.
~L’Homme se releva et s’assit~
~L’Homme retira son scaphandre~
~L’Homme dévora la fleur~